LA CONDAMNATION DE DREYFUS
1894
1er NOVEMBRE: La Libre Parole publie un long article où on lit notamment: « L'affaire sera étouffée parce que cet officier est Juif. »
28 NOVEMBRE: Le Figaro publie une interview de Mercier qui parle de preuves criantes contre Dreyfus. Un démenti officieux de ces propos est publié dans le journal du soir Le Temps: le ministre, y est-il dit, ne peut préjuger d'une cause soumise à la justice militaire. Le Figaro du lendemain confirme les propos du ministre sans que celui-ci reagisse.
NAISSANCE D'UN PARTI DREYFUSARD
1895
FEVRIER (fin) : Mathieu Dreyfus, le frère d'Alfred, fournit au journaliste Bernard Lazare une première documentation en vue d'innocenter le capitaine
3 SEPTEMBRE : la presse reprend une information publiée la veille par le journal anglais Daily Chronicle, et selon laquelle Dreyfus se serait échappé du bagne. La rumeur avait été lancée par Mathieu afin d'attirer de nouveau I'attention sur le cas Dreyfus. De fait, quelques doutes sont alors exprimés dans la presse sur la validité du procès.
14 SEPTEMBRE : L'Éclair (daté
du 15), désireux d'empêcher "qu'une seule conscience
accorde au traitre les bénéfices du doute",
révèle, « par devoir patriotique »,
le « document exceptionnel » du dossier qui a accablé
Dreyfus. Il s'agit d'une lettre chiffrée, entre I'ambassade
d'Italie et l'ambassade d'Allemagne de Paris, qui contiendrait
cette phrase:
«Décidément cet animal de Dreyfus devient
trop exigeant» . Le « D. » de la note secrète
« Ce canaille de D... » avait été transformé
par le journal en « Dreyfus ». En fait, en révélant
I'existence du dossier secret, L'Éclair venait de démontrer
que Dreyfus avait été jugé et
condamné en pleine illégalité.
6 NOVEMBRE : Bernard Lazare publie sa brochure Une Erreur judiciaire. La vérité sur l'affaire Dreyfus, imprimée à Bruxelles pour déjouer une saisie éventuelle, et envoyée sous pli fermé à des destinataires choisis. La presse y fait écho sévèrement et, le 18, le député Castelin demande, à la tribune de la Chambre, des poursuites contre Bernard Lazare; mais le gouvernement y renonce.
10 NOVEMBRE: Le Matin publie un fac-similé du bordereau, dont la photographie lui a été vendue par Teyssonnières, I'un des experts commis en 1894.
NOVEMBRE: démarches de Bernard Lazare auprès d'Auguste ScheurerKestner, vice-président du Sénat, et d'Emile Zola. Mais ses arguments ne convainquent pas encore complètement ceux qui deviendront des champions du dreyfusisme.
1897
3O OCTOBRE: Scheurer-Kestner, déjeunant
avec le général Billot, ministre de la Guerre, lui
révèle ses découvertes sur l'innocence de
Dreyfus et la culpabilité d'Esterhazy. Le lendemain, mise
au courant, la presse de droite se déchaîne contre
le vice président du Sénat. Henry, de son côté,
met au point avec Esterhazy et du Paty de Clam de faux télogrammes
signés « Speranza » et
« Blanche » adressés à Picquart, afin
de perdre celui-ci comme auteur du « petit bleu »,
initialement attribué à Schwartzkoppen.
2 NOVEMBRE : mise en vente du deuxième mémoire de Bernard Lazare, Une Erreur judiciaire. L'affaire Drcyfus, chez Stock. A peu près à la même date, le coulissier M. de Castro reconnaît l'écriture du bordereau comme étant celle d'Esterhazy, dont il possède plusieurs lettres. Averti, Mathieu Dreyfus communique la nouvelle à Scheurer-Kestner, qui savait déjà la vérité par Leblois.
13 NOVEMBRE: Le Temps publie une lettre de Scheurer-Kestner affirmant l'innocence de Dreyfus, et révélant que le vrai coupable est connu, sans préciser son nom.
25 NOVEMBRE: I'article que publie Zola dans le Figaro: « M. Scheurer-Kestner » se conclut par ces mots: «La vérité est en marche, et rien ne l'arrêtera. »
28 NOVEMBRE: Le Figaro publie une lettre d'Esterhazy à l'une de ses anciennes maîtresses, Mme de Boulancy, transmise par l'avocat de celle-ci à Scheurer-Kestner, qui l'avait montrée à Pellieux sans provoquer son intérêt. Or Esterhazy y affirmait qu'il ferait « tuer cent mille Français avec plaisir». Le Figaro publie cette missive incendiaire en même temps qu'une partie de cette correspondance. Grosse émotion publique.
29 NOVEMBRE: Georges Clemenceau qui, depuis le début du mois, a commencé sa campagne révisionniste, pose la question: «Qui ?» dans L'Aurore: « Qui donc protège M. Ie commandant Esterhazy contre les curiosités légitimes du juge ?»
1er DÉCEMBRE: second article dreyfusard de Zola: « Le Syndicat », publié dans Le Figaro. Le dernier : la direction du journal étant l'objet d'une campagne de désabonnement, le prie d'arrêter.
1898
1er JANVIER: article de Clemenccau
dans L'Aurore: « On va poursuivre Esterhazy, puisqu'on ne
peut faire autrement, mais seulement sur les faits accessoires
révélés par le colonel Picquart. Le bordereau
ne sera pas retenu.
Il n'en sera pas dit un mot, le gouvemement ayant trouvé
trois experts pour déclarer que
l'écriture qu'Esterhazy reconnaissait comme sienne n'est
pas de sa main. »
12 JANVIER : article de Clemenceau:
«Est-ce fini ?Je ne crois pas. Il faut maintenant que le
gouvernement, pour rester fidèle à ce uhlan [Esterhazy],
poursuive le
"syndicat", le fameux syndicat coupable d'avoir des
doutes sur Esterhazy. Et s'il n'a pas le courage de le faire,
je veux croire que les hommes qui ont pris cette affaire en mains
ne s'arrêteront pas à mi-chemin. A eux de traîner
Billot et son huis clos à la barre de l'opinion publique,
devant un jury de citoyens francais. »
DE J'ACCUSE, AU PROCÈS ZOLA
13 JANVIER : L'Aurore publie la Lettre ouverte d'Emile Zola au président de la République, pour laquelle Clemenceau a trouvé un titre fulgurant: « J'accuse ». A la suite d'une interpellation d'Albert de Mun, la Chambre décide des poursuites contre Zola par 312 voixcontre 122. Dans les jours qui suivent la publication de « J'accuse », de nombreuses manifestations ont lieu à travers la France en faveur de l'armée, contre Zola, et contre les Juifs. Graves violences antisémites en Algérie.
15 JANVIER: publication d'une première
liste de savants, d'écrivains et d'universitaires, favorables
à la révision du procès de Dreyfus. Dans
un article du
23 janvier, Clemenceau lancera un nouveau substantif: «
N'est-ce
pas un signe, tous ces intellectuels, venus de tous les coins
de l'horizon,
qui se groupent sur une idre et s'y tiennent inébranlables
? »
18 JANVIER: le général Billot dépose une plainte contre Zola. Elle porte sur la phrase de l'article: « J'accuse » le conseil de guerre d'avoir « commis le crime juridique d'acquitter sciemment un coupable [Esterhazy]. »
19 JANVIER: le groupe socialiste à
la Chambre publie un manifeste,
inspiré par Jules Guesde et Édouard Vaillant, qui
renvoie dos à
dos les « deux fractions bourgeoises rivales »: «
Prolétaires, ne vous
enrôlez dans aucun des clans de cette guerre civile bourgeoise
! » Jaurès,
acquis à la cause dreyfusarde par Lucien Herr, le bibliothécaire
de
I'École normale supérieure, n'en a pas moins signé
ce manifeste.
20 JANVIER: réplique de Clemenccau
dans L'Aurore: « Les
socialistes viennent de produire un manifeste où tout se
trouve, hors le
cri de justice et de solidarité humaine, au-dessus des
groupements politiques d'un jour. Quand le droit d'un seul est
lésé, c'est le droit de tous qui est menacé.
»
22 JANVlER: tout en disant admirer
« la hardiesse de Zola », Jaurès écrit
- dans La Petite République: « Il ne peut isoler
son acte du milieu social où il se produit. Or, derrière
lui, derrière son initiative hardie et noble,toute la bande
suspecte des écumeurs juifs marche sournoise et avide,
attendant de lui je ne sais quelle
réhabilitation indirecte, propice à de nouveaux
méfaits. »
7 FÉVRIER: ouverture du procès
Émile Zola devant les assises de la Seine, au Palais de
justice de Paris. Maître Fernand Labori et maître
Albert Clemenccau défendent l'écrivain. Le tribunal
est présidé par Delegorgue qui va s'efforcer
d'isoler le cas Zola du cas Dreyfus, et se rendra célèbre
par son refrain: « La question ne sera pas posée.
»
23 FÉVRIER: Zola est condamné à un an de prison et à trois mille francs d'amende (le maximum).
25 FÉVRIER: Clemenceau écrit
dans L'Aurore: « Chacun sait en France .
aujourd'hui que la loi a été outrageusement violée
au détriment d'un accusé dans un simulacre de procès.
»
8 JUILLET: le colonel Picquart, dans
Le Temps, offre au président du
Conseil de prouver en justice que le « faux Henry »
est une pièce fabriquée. Picquart sera emprisonné
le 13 juillet, une information ayant été ouverte
contre lui et Leblois pour divulgation de documents secrets intéressant
la défense nationale.
Picquart restera onze mois en prison.
10 AOUT: Jaurès commence
dans La Petite République une série
d'articles, « Les Preuves »: « il n'est plus
possible de douter aujourd 'hui
que dans le procès Dreyfus une illégalité
violente ait été commise. »
RÉVISION DU PROCÈS DREYFUS
5-6 SEPTEMBRE: Charles Maurras fait l'éloge d'Henry dans La Gazette de France, quotidien catholique et royaliste: « Ce serviteur héroïque des grands intérêts de l'Etat, ce grand homme d'honneur. »
26 SEPTEMBRE: la presse rend compte d'un meeting antidreyfusard au cours duquel Déroulède s'est violemment écrié: « Vos chapeauxsontdes képis. [...]Si la grande Révolution était là, Clemenceau serait des premiers conduits à l'échafaud(...) Les Jaurès et les Reinach pactisent avec la Triple Alliance. [... ] Si Dreyfus rentre en France, il sera écharpé. »
23 NOVEMBRE: le catholique Paul Viollet
intervient dans Le Temps en faveur de Dreyfus. Quelques jours
plus tard, l'abbé Pichot publie une brochure sur La Conscience
chrétienne et l'Affaire, sous la forme d'une lettre à
La Croix, quotidien
catholique, antidreyfusard et antisémite: il y condamne
l'antisémitisme comme une violation de l'Évangile.
L'abbé Pichot doit cesser son
enseignement au collège catholique de Felletin, après
l'intervention de l'évêque de Limoges. Albert de
Monaco nommera Pichot dans l'une des trois cures de la
principauté.
14 DECEMBRE: La Libre Parole publie
la première liste de la souscription ouverte pour permettre
à la veuve du lieutenant colonel Henry de poursuivre le
député Joseph Reinach, accusé d'avoir sali
la mémoire de son époux à travers une série
d'articles publiés dans Le Siècle. Il y aura ainsi
dix-huit listes, chaque obole étant assortie de propos
favorables à l'armée et hostiles à Reinach
et aux Juifs. L'année suivante, l'antidreyfusard Pierre
Quillard publiera cette liste méthodiquement
classée, Le Monument Henry, chez Stock, le grand éditeur
dreyfusard.
1899
5 JUIN: retour de Zola en France. Il publie dans L Aurore « Justice »: « Je rentre puisque la vérité éclate, puisque la justice est rendue. »
18 JUILLET: Le Matin publie un article
d'Esterhazy, dans lequel celui-ci se déclare l'auteur du
bordereau: il l'aurait écrit sur
l'ordre de ses chefs pour prouver la culpabilité de Dreyfus,
sur laquelle
ils n'avaient qu'une certitude morale.