La censure
On ne dispose encore d'aucune étude
de synthèse sur la censure pendant l'ensemble de la guerre.
Son histoire est fort complexe. Elle fut naturellement fort critiquée
: par les journalistes pour sa sévérité,
ses incohérences et sa partialité ; par les hommes
politiques qui bien souvent eurent à souffrir, comme parlementaires
ou comme directeurs de journaux, de ses exclusives ; par les militaires
qui la jugeaient insuffisante et qui trouvaient que la presse
parlait trop et mal. Elle fut souvent mal défendue par
les gouvernants qui, tout en utilisant les énormes possibilités
qu'elle leur offrait, feignirent souvent de se désolidariser
d'elle. Pourtant son action ne fut jamais véritablement
compromise :mois après mois, au contraire, elle se renforça
et perfectionna ses méthodes. Elle fut au total très
efficace :grâce à elle, l'état major allemand
ignora par exemple la gravité de la crise du moral de l'armée
française d'avril à octobre 1917 ; grâce à
elle aussi " les civils ont tenu ",qui ont ignoré
la gravité des défaites militaires, les crises diplomatiques,
les effets économiques catastrophiques et les véritables
horreurs de la guerre. Les autorités militaires et civiles
ont joué des possibilités offertes par la censure
avec beaucoup plus de subtilité que ne le laisse croire
la légende de ridicule. Elle fut certes arbitraire et souvent
injuste, mais dans cette guerre totale, où les facteurs
moraux avaient, dès 1915, un rôle si important, elle
contribua puissamment à anesthésier l'opinion publique
et rendit possibles les opérations de propagande. Son rôle
essentiel fut d'éviter à un pays fatigué,
dont les nerfs étaient tendus à craquer, les émotions
fortes qui lui auraient données les événements
s'il les avait connus dans leur brutale réalité.
Il est facile d'opposer la modération-toute relative-de
la censure anglaise ou américaine à la rigueur de
la censure française :mais la situation de la Grande-Bretagne
et des Etats-Unis et les conditions de vie matérielles
et morales de leurs habitants n'étaient pas comparables
à celles de la France. La censure allemande fut d'une manière
générale, et en particulier dès le printemps
1917, beaucoup moins sévère que la nôtre :elle
permit en particulier aux journaux de commenter assez longuement
les débats du Reichstag.
Les consignes les plus sévères de la censure française
touchaient les informations militaires dont le G.Q.G. voulait
se réserver l'exclusivité :on interdit en particulier
la publication des ordres du jour des généraux à
leurs troupes. La censure fut parfois une arme au service des
intrigues de l'ètat-major,La censure servit aussi naturellement
aux divers gouvernements pour tenter de réduire le rôle
de la presse dans le jeu politique et de gagner la sympathie exclusive
de l'opinion publique à la personne des ministres en place.
Mais cette action, la plus critiquée, fut, au total, de
peu d'efficacité :elle exaspéra plus les parlementaires
et les journalistes qu'elle n'influença vraiment l'opinion
publique dont la guerre accrut finalement l'hostilité au
personnel politique.
Durant toute la guerre la censure fut l'objet, dans la presse
et au parlement, d'attaques incessantes qui n'eurent finalement
que peu d'effets sur son fonctionnement, sauf à entraîner
parfois l'élimination d'un directeur transformé,
pour l'occasion, en bouc émissaire.
Les premières attaques vinrent de Clémenceau qui,
dès le 24 septembre 1914, écrivait dans l'homme
libre :
" tout homme de bon sens comprendra que la censure
ne peut s'appliquer qu'aux matières d'ordre militaire.
En dehors de cela elle n'est et ne peut être qu'un inacceptable
abus de pouvoir. C'est ainsi que la question fut présentée
par moi au syndicat de la presse avec l'approbation de la presque
unanimité. Hélas !je vois que nos gouvernants ne
l'entendent pas de même. On leur a donné une fraction
de toute-puissance , ils ne veulent pas moins que le bloc entier.
J'accepte qu'il soit utile de nous soumettre à la raison
des nouvelles militaires, mais quel lien cela peut-il avoir avec
un article politique qui plaît ou qui ne plaît pas
à Sa Majesté le gouvernement ?J'ai l'extrême
audace de penser qu'il n'est pas du tout nécessaire pour
vaincre de se mettre sous la botte du premier basochien militaire.
"
Au contraire Joffre lui, trouvait toujours la censure trop
légère et les journaux trop bavards. La crise de
1917 révéla l'importance de la presse sur le moral
des troupes. Certes, la dénonciation des journaux comme
facteurs de démoralisation des soldats était bien
facile et les avis des états-majors furent, à ce
sujet, étrangement convergents. Pétain, qui s'était
si souvent plaint de la mollesse des poursuites contre la propagande
pacifiste, proposa au gouvernement un plan pour la presse qui
débordait largement le cadre de l'action des journaux sur
le moral des soldats et était déjà un véritable
programme pour une propagande antidéfaitiste active.
Ce raidissement de l'attitude du G.Q.G. contre la presse correspondait
bien à une période de crise de la censure mais celle-ci
fut réorganisée par Clémenceau et les militaires
n'eurent plus à y jouer que leur rôle d'agents de
contrôle, l'inspiration de la propagande revenant au gouvernement.
La censure aura donc joué un rôle peut important
durant la seconde guerre mondiale et l'on retiendra surtout les
nombreuses critiques de cette censure.